Chers correspondants,
Lors du débat de l'an dernier relatif aux élections présidentielles, le candidat qui allait sortir vainqueur du scrutin avait déclaré ceci :
"mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance" (discours au Bourget, 22 janvier 2012). Vaste programme !
On sait, en particulier, que les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises ont littéralement explosé, partout, ces dernières années, pour atteindre bien souvent des niveaux, historiques, astronomiques. Le candidat Hollande s'était du reste beaucoup engagé sur la limitation des plus élevées d'entre elles : taxe à 75 % sur les plus hauts revenus, fin des stock-options, limitations des bonus, plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques et encadrement de celles de ceux des entreprises privées.
Celles des entreprises publiques ont déjà fait l'objet d'un plafonnement par le nouveau gouvernement (450 000 euros annuels). Reste le cas des entreprises privées (en 2012, la moyenne des rémunérations (connues) des "patrons" du CAC 40 s'est établie à 2,3 millions d'euros). Le ministre des Finances a récemment fait savoir qu'il "n'y aurait pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises", sa préférence allant à "une autorégulation exigeante" de la part des chefs d'entreprise (ce que d'aucuns, à "gauche", qui voudraient légiférer, considèrent comme une reculade).
Du côté du patronat, on semble séduit, on ne s'en étonnera pas, par la formule anglo-saxonne dite du"
say and pay". Elle consiste à demander aux actionnaires de se prononcer ("
say") en assemblée générale sur la rémunération ("
pay") des dirigeants de leur entreprise. Le système est en vigueur dans une quinzaine de pays européens, sous forme contraignante ou consultative, c'est-à-dire que les entreprises peuvent alors passer outre le vote de leurs actionnaires (cas, par exemple, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et de l'Espagne). On vient du reste d'apprendre que les actionnaires de
Publicis (une des 39 valeurs du CAC 40), inaugurant en France cette formule du "
say and pay", avaient approuvé à 78,8 % le "
méga-salaire" (comme dit la presse) de
4,8millions d'euros du Président du directoire. La rémunération de la Présidente du Conseil de surveillance l'a été à la quasi-unanimité (
http://www.capital.fr/bourse/actualites/le-mega-salaire-d... ).
A l'expérience, il apparaît clairement, quel que soit le modèle retenu, que l'efficacité du "say and pay" est très faible. Selon Frédéric Palomino, professeur à l'Edhec, auteur d'une étude sur le sujet, les actionnaires valident la plupart du temps les salaires : "Ils on tendance à être suiveurs". Selon son étude, en 2012, dans 72 % des entreprises européennes, les actionnaires ont validé à 91 %. Aux Etats-Unis, où l'avis est (évidemment) consultatif, seuls 2,6 % des AG ont voté contre (53 sociétés sur 2025). Il semblerait que le système ne commence à produire quelques premiers effets que lorsque que les résultats des entreprises se détériorent sérieusement.
Le sujet est évidemment d'actualité. Il y a quelques semaines (en février), nous avions relevé que le Parlement européen et la présidence irlandaise de l'UE s'étaient sont mis d'accord sur le principe de nouvelles règles de transparence bancaire et, surtout, sur le plafonnement des fameux "bonus". La rémunération variable ne devait plus dépasser la rémunération fixe à moins, là aussi, d'avoir été approuvée par les actionnaires. Ce projet (le gouvernement anglais lui était évidemment vivement opposé) avait mis "la City en colère" (titre d'un article à ce sujet du quotidien Le Parisien ). Tous ces gens travaillent comme des forcenés, leurs rémunérations ne sont jamais qu'une juste récompense et d'ailleurs les banques ne méritent nullement d'être ainsi dans le collimateur de Bruxelles, elles ne sont pour rien dans le déclenchement de la crise de 2007-2008 ! Ledit journal avait cité à ce propos la réaction d'un "banquier haut placé" qui mérite assurément d'être connue. Elle est fort intéressante. Voici ce qu'il a déclaré :
"C'est un coup du pour les places européennes et pour Londres en particulier, mais ne vous en faites pas pour nous. On trouvera une autre solution pour continuer à donner des bonus attractifs à nos meilleurs éléments. Bruxelles ne peut pas lutter contre la puissance de la finance."
En fait les "patrons" des grandes entreprises, celles du CAC 40 en particulier (on notera que le pouvoir politique ne parle jamais à leur propos de "multinationales", ce qu'elles sont pourtant depuis longtemps, et souvent de taille considérable, ont plus d'un tour dans leurs sacs. Rien de tel pour brouiller les cartes que d'utiliser, par exemple, les multiples filiales dont elles disposent dans le monde entier. C'est une parfaite illusion, qu'une législation nouvelle soit votée ou pas, à l'heure de la mondialisation néolibérale, de penser que les pouvoirs publiques puissent agir efficacement en la matière, sinon à la marge.
Quoi qu'il en soit, ledit "monde de la finance" semble bel et bien, lui, se porter comme un charme. Ce qui n'est pas vraiment le cas de la France, comme en témoignent les résultats de trois publications toutes récentes. D'une part, le moral des Français a retrouvé son plus bas niveau historique de 2008 (INSEE), d'autre part, selon le dernier "Baromètre Prisme Emploi" d'avril 2013, les effectifs intérimaires ont reculé, dans à peu près tous les secteurs, de 12,8 % en un an au niveau national (14,4 % dans l'industrie). Comme nous l'avons déjà dit, ces données constituent un excellent indicateur avancé de l'évolution de l'emploi salarié dans les mois à venir. Enfin, selon l'OCDE, le chômage devrait augmenter en France jusqu'à la fin de 2014 (la zone euro connaissant une sévère récession de - 0,6 % en 2013).
Bien à vous.
Jean-PIerre Busnel
Président de l'IAB